Par Pepijn van Erp

 

(Traduit de l’anglais : As for the possibility of open-heart surgery under hypnosis, we did what Mattias Desmet failed to do: call the expert)

Selon le professeur Dr. Faymonville, il est impossible d’utiliser l’hypnosédation lors d’une sternotomie car elle empêche la respiration spontanée.
La question de savoir si l’hypnose est si forte que l’on puisse l’utiliser pour effectuer une opération à cœur ouvert sans anesthésie supplémentaire continue de préoccuper Mattias Desmet. Dans un article précédent, j’ai expliqué pourquoi je pense que cette question est si importante pour lui : “La formation de masse est exactement la même chose que l’hypnose”, affirme-t-il sans cesse, et donc, si l’hypnose, en réalité, n’est pas aussi puissante qu’il le présente, alors logiquement la formation de masse n’est pas non plus aussi puissante.
Peter Zegers, avec qui j’ai rédigé un fact-checking approfondi du best-seller de Desmet, a découvert que Desmet mentionnait déjà cette idée de chirurgie à cœur ouvert sous sédation hypnotique dans un livre antérieur et qu’il l’a dit probablement aux étudiants dans ses cours depuis de nombreuses années. Vous pouvez trouver un enregistrement vidéo d’un tel cours (2019-2020), dans lequel il le raconte exactement comme il l’a écrit dans son livre :
“Faymonville […] utilise quotidiennement la sédation hypnotique lors d’opérations. Et son utilisation ne se limite certainement pas aux opérations mineures. Il s’agit parfois d’opérations à cœur ouvert au cours desquelles le chirurgien doit inciser le sternum. Ce qui est peut-être encore plus remarquable, c’est que, grâce à l’hypnose, Faymonville peut non seulement pratiquer une anesthésie générale, mais aussi réaliser des manipulations précises du corps, comme arrêter le saignement d’une veine. Sur sa suggestion “Vous allez arrêter de saigner maintenant”, on peut voir comment le vaisseau sanguin se contracte. Soit dit en passant : Notez que la contraction d’une veine échappe complètement à tout contrôle conscient ou à toute intention du sujet lui-même, mais que l’intention d’une autre personne (c’est-à-dire le médecin qui pratique l’hypnose) semble avoir une emprise sur ce phénomène.” (Lacan’s logic of subjectivity (2019), p.46).
Ce fragment contient deux affirmations remarquables. La première est que Faymonville elle-même aurait participé à une opération à cœur ouvert sous hypnose. Desmet a toutefois fait savoir dans des déclarations ultérieures qu’il s’agissait d’une erreur de sa part. La deuxième affirmation concernant la manipulation d’un vaisseau sanguin spécifique est au moins aussi remarquable.
Sur son Substack, Desmet a publié, en collaboration avec Tineke De Coninck, un long article sur l’utilisation de l’hypnose dans l’histoire, dans lequel ils tentent également de répondre à la critique selon laquelle l’hypnose ne peut pas être utilisée pour la chirurgie à cœur ouvert.
“Le professeur Dr Marie-Elisabeth Faymonville – l’anesthésiste belge qui a relancé l’hypnose dans le bloc opératoire après des décennies de méfiance en 1991 – a cependant déclaré il y a quelques années dans une interview au journal belge De Morgen (à lire ici pour les non-abonnés) que l’hypnose ne peut pas être utilisée dans les opérations à cœur ouvert. Ses arguments ne sont pas tout à fait clairs, mais elle cite comme raison que le cœur doit être arrêté pendant de telles procédures. Elle suggère que cette limitation technique empêche l’utilisation de l’hypnose comme substitut à l’anesthésie générale. Cet argument est quelque peu discutable pour plusieurs raisons.” (Hypnosedation – Mind over matter in the operating room (Substack, 2023)).
J’ai cité le même article dans mon premier message sur cette question pour montrer que la personne que Desmet présente comme l’autorité par excellence en la matière a elle-même déclaré qu’une opération à cœur ouvert sous hypnose n’est pas du tout possible. La raison qu’elle a donnée dans cette citation ne m’a pas semblé complète à l’époque, car je connaissais aussi les opérations (rares) effectuées sur un cœur battant. Et c’est exactement ce que Desmet et De Coninck soulèvent. Ils soutiennent, à juste titre, que cet argument de Faymonville n’est pas le coup de grâce, mais, d’un autre côté, ils s’en tiennent très facilement à l’histoire totalement invérifiable de Dave Elman selon laquelle une telle opération aurait été pratiquée sous hypnose à une époque donnée.
“Et pour aller plus loin : si scier une jambe est possible sous hypnose, sans aucune forme d’anesthésie (comme décrit par exemple dans l’article du Lancet mentionné ci-dessus), avons-nous alors beaucoup de raisons de douter que scier le sternum sous hypnose, sans aucune forme d’anesthésie, soit également possible ? Tout porte à croire que l’exploit de Dave Elman – une opération à cœur ouvert sous hypnose – est bel et bien possible.” (Hypnosedation – Mind over matter in the operating room (Substack, 2023)).
Mais ils négligent de réfléchir à d’autres raisons qui excluraient une opération à cœur ouvert sous hypnose ou de demander à cette experte elle-même une explication plus détaillée.

 

 

Une conversation téléphonique éclairante avec le professeur Faymonville

Zegers et moi avons d’abord contacté le professeur Dr Marie-Elisabeth Faymonville par courrier, et le 11 avril, j’ai eu une brève mais instructive conversation téléphonique avec elle. Elle m’a tout de suite expliqué que la raison pour laquelle une opération à cœur ouvert n’est pas possible sous sédation hypnotique n’est pas que le cœur doit être arrêté, mais que le problème se situe au niveau de la ventilation. Une sternotomie (“couper directement à travers le sternum“, comme Desmet l’a répété à maintes reprises) modifie le mécanisme ventilatoire de la respiration, elle rend la respiration spontanée impossible ! Si le thorax est ouvert, il n’est plus possible de créer la pression négative nécessaire à l’inspiration, d’où la nécessité d’une ventilation mécanique lors de ces opérations. Pendant l’hypnosédation, le patient est conscient et respire spontanément, ce qui ne permet pas de l’associer à une sternotomie. C’est aussi simple que cela.
Cela montre aussi clairement que l’histoire d’Elman ne peut tout simplement pas être vraie, ou du moins qu’il s’agit d’une déformation de ce qui s’est passé. Bien que Faymonville m’ait dit qu’elle connaissait son nom, elle a rejeté cette histoire comme étant impossible.
Desmet a également tout faux en ce qui concerne l’arrêt de l’hémorragie d’un vaisseau sanguin spécifique. Ce que Faymonville a découvert dans ses recherches, c’est que, dans la chirurgie nasale, il y avait moins de saignements en général lorsqu’ils étaient pratiqués sous hypnosédation par rapport à l’anesthésie générale. La différence est que sous hypnosédation, le patient respire spontanément et ne crée pas de surpression comme c’est le cas avec la ventilation mécanique. Lorsque Desmet cite Faymonville en disant “Vous allez arrêter de saigner maintenant“, sa fantaisie a dû s’emballer.
J’ai également demandé à Faymonville ce qu’elle pensait de la description faite par Desmet de l’hypnosédation utilisée en chirurgie, à savoir qu’elle “focalise l’attention sur un petit aspect de la réalité et fait perdre conscience du reste de la réalité“. Elle m’a expliqué qu’elle considérait plutôt qu’elle permettait au patient de se dissocier de l’opération ; physiquement, il est dans la salle d’opération, mais mentalement, il en est complètement absent. Il s’agit plus d’un état de conscience différent que d’une concentration sur un aspect de la réalité.
Bien sûr, Desmet aurait pu apprendre cela il y a des années et éviter de répandre ses idées fausses sur le sujet, s’il avait simplement contacté Faymonville lui-même, ce qu’il n’a jamais fait.
Je pense qu’on peut maintenant conclure avec suffisamment de certitude que la chirurgie à cœur ouvert sous hypnose n’est pas possible. Le problème se situe principalement au niveau de la respiration. Dès que l’on ouvre le thorax, le patient a besoin d’une ventilation mécanique, ce qui exclut l’utilisation de l’hypnosédation.