Pepijn van Erp & Peter Zegers

Des abus rituels sataniques aux Pays-Bas? La question semble être de retour. Tous ceux qui se souviennent encore des discussions des années 1990 sur ce sujet doivent être surpris. Les recherches ont montré qu’il est pratiquement impossible qu’il existe des réseaux dans lesquels cela se passerait à grande échelle, l’absence totale de preuves concrètes va irréfutablement dans ce sens. Alors, qu’y a-t-il de nouveau sous le soleil ?

Les récits des victimes présumées d’abus rituels, qui contiennent souvent des détails incroyablement horribles sur la torture et l’infanticide, n’ont pas disparu depuis lors, et un certain nombre de thérapeutes continuent d’y croire obstinément. Sur les sites web des théoriciens du complot, le thème n’a jamais disparu non plus et il a récemment reçu un coup de pouce important via le phénomène QAnon.

En juin 2020, le programme de radio Argos a fait en sorte que le sujet apparaisse aussi dans les médias grand public comme digne d’être sérieusement étudié à nouveau, avec une émission dans laquelle les journalistes d’investigation Huub Jaspers et Sanne Terlingen ont raconté de leur propre enquête.

Questions parlementaires

La Chambre basse est d’accord avec cela. En réponse aux questions de Groen Links, du PvdA et du SP, le ministre de la Justice et de la Sécurité a déclaré qu’il ne voyait aucune raison d’ouvrir une nouvelle enquête. Cependant, il a également écrit, de manière quelque peu maladroite : « On ne peut pas exclure que des abus rituels se produisent aux Pays-Bas », ce qui d’un côté est parfaitement logique – comment pourrait-on l’exclure complètement ? – Mais d’un autre côté, elle peut facilement être interprétée comme signifiant que les autorités chargées de l’enquête n’ont pas suffisamment d’information.

Insatisfaite de cette réponse, la Chambre des représentants a adopté une motion exigeant une recherche indépendante sur l’occurrence et la nature des « abus sadiques organisés. » Une formulation plus vague que celle dans l’émission d’Argos, mais qui avait donc plus de chances d’être adoptée, a expliqué Niels van den Berge (Groen Links), l’un des initiateurs de la motion, dans une diffusion ultérieure du programme de radio.

La motion a été adoptée à l’unanimité, après quoi le ministre a demandé au Centre de recherche et de documentation scientifique (WODC) d’ouvrir une enquête. Cependant, ce dernier a récemment retiré la mission car il s’est avéré impossible de réaliser une étude scientifiquement fondée. Une conclusion qui ne surprendra pas ceux qui connaissent la littérature nationale et internationale en la matière. Depuis la panique satanique d’il y a trente ans, rares sont ceux qui croient encore aux histoires fantastiques qui ont conduit de nombreux innocents en prison, surtout aux États-Unis.

Pas d’enquête critique

A notre avis, l’enquête non transparente d’Argos n’a rien apporté de convaincant pour changer l’image des réseaux satanistes en tant que d’être plus qu’un mythe. L’affirmation qu’il existerait des preuves médico-légales d’abus rituels sataniques, consigné par un chercheur australien militant, n’a pas tenu après vérification, mais figure toujours sur le site web du programme de radio.

Le questionnaire qu’Argos a élaboré en concertation avec les thérapeutes est, sans doute involontairement, assez directif et a été diffusé principalement dans le circuit du même groupe de thérapeutes. Seul un nombre limité de participants a finalement été interviewé par Argos en personne. Il n’est pas clair dans quelle mesure les similitudes dans les histoires qu’Argos qualifie de remarquables proviennent de ce groupe ou de la partie des questionnaires qui a été envoyée de manière anonyme.

Jusqu’à présent, les collègues journalistes ne portent pas un regard critique sur ce que rapporte Argos dans ce dossier. La seule critique semble se trouver sur le blog sceptique Kloptdatwel ? dans les articles que nous avons écrits nous-mêmes à ce sujet (juillet 2020 1 et idem 2 ; voir aussi octobre 2020).

L’excellente réputation d’Argos contribuera à ce que l’affaire soit considérée sous un angle différent de celui des complotistes. Les journalistes du programme de télévision Propaganda, par exemple, n’ont pas critiqué les recherches d’Argos dans l’émission du 4 mars 2021, tandis qu’ils ont traité les adeptes de QAnon avec leur Deep State (État profond) composé d’une élite satanique de pédophiles violeurs d’enfants, comme des fous. Et dans le Volkskrant du 23 octobre, la chroniqueuse Loes Reijmer se demande quand « la folie des théoriciens du complot nous [prive] de la vision de la réalité douloureuse, parfois tout aussi folle ». Elle invite le lecteur à prendre exemple sur « l’esprit critique ouvert avec lequel Terlingen aborde ce sujet difficile.»

Rien de nouveau

Mais l’histoire d’Argos est-elle vraiment tellement différente de la mythologie de QAnon ? L’histoire d’Argos parle aussi de sacrifice rituel d’enfants et d’élites qui se protègent mutuellement.

Si on fait des commentaires de nature critique, on est promptement accusé de ne pas prendre les victimes au sérieux et de nier leurs troubles. Ou pire, qu’on est complice à couvrir des atrocités.

« Les personnes impliquées attendent depuis trop longtemps une reconnaissance et une enquête sérieuse », a déclaré Van den Berge à Argos. Il souhaite que le cabinet sortant nomme un comité d’enquête indépendant dès que possible, maintenant que le WODC a échoué. Même les conseils municipaux d’Amsterdam et de Rotterdam envisagent sérieusement de mener leur propre enquête. Ici, les politiciens de l’Union chrétienne (Christen Unie) et de Leefbaar Rotterdam sont les initiateurs.

Apparemment, pour beaucoup de politiciens et de journalistes, il est plus facile de croire les témoignages bizarres que de se rendre compte que rien de nouveau n’a été apporté qui justifierait une telle enquête.

Publié le 12 mars 2021 sur le site Sargasso. Traduit du néerlandais: Ritueel misbruik en de heilige status van Argos (PZ).

Postscriptum de Pepijn van Erp (le 27 avril 2022)

Depuis l’établissement de la commission Jan Hendriks en avril 2021, il y a eu quelques développements intéressants. Argos a commencé la série sur ce sujet avec “l’histoire de Lisa” en décembre 2018, une histoire typique d’abus rituel satanique pleine de détails improbables. Argos s’était intéressé à l’affaire parce que la mère de “Lisa” (un pseudonyme) avait essayé, en vain, d’obtenir de la police qu’elle enquêterait sur les crimes présumés dont elle avait accusé son ex-mari et “son réseau” après qu’un comité d’experts qui conseille la police dans ce genre d’affaires ait conclu que l’histoire de “Lisa” était totalement invraisemblable et incroyable.

L’histoire de Lisa a été utilisée par les complotistes et les adeptes de QAnon aux Pays-Bas pour affirmer que les abus rituels sataniques seraient un problème réel aux Pays-Bas. Il est apparu récemment qu’un élément de preuve présenté par la mère de “Lisa”, une liste de prix d’enfants prétendument partagée par des “sectaires”, était en fait rien qu’un collage maladroite de captures d’écran d’un manuel d’Exact, un logiciel de comptabilité très répandu. Argos n’a jamais fait de commentaire public à ce sujet.

Le silence ostentatoire d’Argos après que la commission Jan Hendriks se soit mis au travail a été remarqué par tous ceux qui suivent ce sujet. En février 2022, il est devenu clair que le comité de rédaction du programme est complètement divisé sur ce sujet. Dans un webinaire, Sanne Terlingen a raconté qu’elle avait reçu l’ordre de ne pas suivre de nouvelles pistes dans ce dossier. Récemment, j’ai également appris de deux sources indépendantes que d’autres journalistes liés à l’émission, et plus largement dans l’organisme de radiodiffusion, n’avaient pas beaucoup de confiance dans les enquêtes. Lorsque j’ai contacté Argos à ce sujet, l’enregistrement du webinaire a été mis en confidentiel en un jour.

Environ une semaine plus tard, j’ai reçu une réponse d’Argos, indiquant que le comité de rédaction soutient le contenu de leurs émissions, mais sans aucun commentaire sur les déclarations de Sanne Terlingen, qui s’est plaint du manque de soutien de ses rédacteurs en chef en lui réfusant l’autorisation de creuser davantage le sujet. Ce qui est étonnant, c’est que le lendemain, Sanne Terlingen a plus ou moins répété son histoire lors d’un festival de journalisme en Pérouse (Italie), que l’on peut encore consulter sur YouTube.